France 98 et La Scaloneta
Par Julian
Publié le 1 novembre 2022
illustration de fefe
Sean Eternos (Soyez Eternels) :
Le 18 Décembre dernier s’est probablement produit l’instant footballistique le plus important de ma vie (jusqu’à nouvel ordre, je n’ai que 25 ans tout de même).
En battant l’Équipe de France au cours d’une finale dantesque de Coupe du Monde de football, probablement la meilleure de tous les temps – et que par moment je n’ai eu la force de regarder tellement le suspense fut insoutenable – guidés par le capitaine Lionel Messi, l’un des meilleurs joueurs de tous les temps qui disputait probablement son dernier mondial, par le sélectionneur Lionel Scaloni, et grâce aux parades du phallocentrique gardien Emiliano « Dibu » Martinez, l’Argentine, mon pays de naissance et celui de mes parents, est devenue championne du monde de football, sport roi au pays ; La Scaloneta, surnom donné à cette Équipe d’Argentine, contraction du nom du sélectionneur Scaloni et du suffixe « -eta », désignant généralement un véhicule, à l’image d’une fourgonnette emmenant les espoirs de tout un pays, a décroché les étoiles en brodant la troisième sur son maillot, 36 ans après le dernier sacre ; l’équipe était alors menée par un certain Diego Maradona.
Curieusement, d’un point de vue purement extra-sportif, ce qui se dégageait autour de du parcours de cette équipe m’a fortement évoqué un autre champion du monde de football, L’Équipe de France vainqueur en 1998, quand Zinédine Zidane et sa bande ont décroché le premier sacre des Bleus. Il est vrai qu’après 36 ans un sacré comme celui-là à toutes les saveurs d’une première fois. Surtout lorsqu’on s’aperçoit que près de la moitié de la population argentine n’était pas encore née lors des victoires précédentes, en 1978 et 1986. Mais je ne suis pas certain que ce ne soit que le temps passé. D’autant plus que je ne sais pas ce qui me fait dire ça, je n’ai jamais vu jouer les Bleus de 98, si n’est dans des documentaires relatant leur épopée, et je sais que ces deux équipes n’ont rien avoir entre elles. C’est pourquoi, j’ai décidé de me pencher un peu plus sur ce « je ne sais quoi » qui les rassemble.
Quels points communs et quelles différences :
Sur ce qui s’est passé autour de ces équipes lors de leurs triomphes respectifs, on peut, en plissant un peu des yeux, s'apercevoir de quelques points communs entre La Scaloneta et les Bleus de 98. Deux équipes dont la tactique était basée sur un meneur de jeu particulièrement talentueux et décisif ? Messi et Zidane, respectivement. Aussi, les deux sélectionneurs, Lionel Scaloni et Aimé Jacquet respectivement, ont été fortement critiqués, voire vilipendés par les médias de leur pays avant leur victoire finale. Une liesse populaire à également fait suite à la victoire finale, bien que c’est un point commun pour tout champion du monde. Autrement, les similitudes s’arrêtent-là. Je pourrais mentionner la différence des attentes du public différentes dans les deux contextes : en Argentine, le football est beaucoup plus “institutionnalisé”, les attentes des supporters sont hautes peu importe les résultats de l’équipe nationale – qui avant le début du mondial était invaincue depuis 2019 et avait enchaîné deux titres internationaux, soulignons-le. D’ailleurs, maintenant qu’on parle de différences, pourquoi pas souligner le fait que pour la première fois en Argentine, on suivait une Coupe du Monde durant l’été austral de novembre-décembre, et non durant l’hiver austral plus coutumier de juin-juillet.
Au lieu de ça, je préfère souligner un point extra sportif non moins crucial pour différencier le passé et le présent dans la manière dont le supporter vit le football de son équipe nationale.
Les joueurs plus proches de leur supporters que jamais
Auparavant, il fallait passer par plusieurs intermédiaires, pour qu’un journaliste puisse interviewer un entraîneur ou un joueur, recueillir ses réactions, et les publier sur un papier ou passer les images à la télévision. Si demain je voyage dans le temps, en 1998, et je dis à un supporter de football que quand bien même il n’y aura pas de voitures volantes en 2022, il pourra tout de même discuter directement avec les Thuram, les Henry, les Deschamps, et même les Zidane de mon époque, il me prendrait pour un fou.
Or, c’est exactement ce qui se produit de nos jours lorsqu’on voit Sergio Agüero, ancien international argentin reconverti en streamer, entretenir une simple conversation avec Lionel Messi tout en recueillant les diverses questions et réactions des spectateurs qui assistent à la conversation en direct. Bref, un stream, au calme, avec le meilleur joueur de tous les temps. Un stream qui est d’ailleurs passé à la postérité en Argentine, et qui a d’ailleurs généré son lot de memes, notamment ceux moquant la tentative ratée de l’attaquant Alejandro « Papu » Gomez, camarade de chambre de Messi, à ressembler au footballeur anglais David Beckham.
Les réseaux sociaux ont changé la façon dont les personnalités du football ont de communiquer et leur permettent d’entretenir une relation de proximité avec leurs suiveurs. Au pays où le football est roi, elle a permis aux supporters argentins non seulement de s’identifier à leur idole, mais également d’entretenir une véritable relation de proximité avec eux – du moins para-socialement – ce qui permet au passage d’humaniser les joueurs. C’est LE point qui, selon moi, différencie cette génération de vainqueurs de Coupe du Monde avec les précédentes. Alors pourquoi la victoire de l’Argentine en décembre dernier me rappelle la victoire d’une équipe d’avant l’aune des réseaux sociaux ?
Plus que du football ?
L’intellectuel George Steiner dit ceci à propos de la Coupe du Monde : « Le Mondial est un langage universel. […] Lorsque nous faisons face à des millions [de spectateurs d’une finale de Coupe du Monde], nous faisons face à une autre sorte de métaphysique, une autre sorte d’ontologie de l’existence collective humaine. Pensez seulement : [un joueur] court vers le but, il est sur le point de tirer, et des millions de cœurs commencent à battre la chamade. »
Le point commun, au final, est le même de tous les pays ayant eu la chance de célébrer une victoire en Coupe du Monde : une fête collective, un carnaval où tous deviennent, pour un court instant, unis dans la célébration, et où tous les problèmes sont résolus. En France, en 1998, on parlait d’une Équipe de France « Black Blanc Beur » qui représentait la diversité culturelle dans une France où le débat identitaire a toujours été présent. De la même manière en Argentine, on parle d’une Scaloneta qui « porte des valeurs d’unité et d’abnégation dont il faut prendre l’exemple » au sein d’une société marquée, au-delà des crises économiques et sociales, par une profonde polarisation socio-politique entre la gauche et la droite, plus connue sous le nom « La Grieta », le fossé en espagnol. Le point commun est là, une équipe de football donnant, pour un court instant, un élan d’union dans la fête qui donne l’impression que tous les problèmes sociaux peuvent être surmontés.
Au final, la victoire de la France Black Blanc Beur n’a pas résolu les problèmes de racisme et de violences policières dans les cités, ni les problèmes de chômage qui mèneront Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles en 2002, quatre ans plus tard, l’année où l’Équipe de France s’apprêtait à défendre son titre mondial. De même, je doute fort que la Scaloneta ne puisse refermer La Grieta, ou freiner une inflation ayant dépassé les 100%. Mais ces moments, rentrés dans les livres d’histoire de leur pays respectifs, auront eu le mérite de rapprocher entre-eux, le temps d’un carnaval épique, des gens ne se connaissant pas, voire que tout oppose, au rythme d’un I Will Survive – hymne de la victoire des Bleus de 98 – ou d’un Muchachos, Ahora Nos Volvimos A Ilusionar – hymne des supporters argentins lors de la Coupe du Monde 2022.
Comme le football est beau quand il nous donne ces moments-là.