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    Le face-name effect

Par Laura
Publié le 2 mai 2022

Le résultat attendu et effectivement observé est qu’il y a une large préférence pour le nom Bouba associé à la forme de gauche et Kiki pour la forme de droite. Ce choix d’association fut le même pour quasiment tous les participants, peu importe leur âge, langue ou culture. Le but était de démontrer une correspondance entre la forme visuelle d’un objet donné et la prononciation du nom attribué. Dans cette optique, si l’on arrondit notre bouche en forme de « O » pour prononcer un nom, on s’attend inconsciemment à ce que la personne ait une forme de visage plus ronde et, à l’inverse, plus angulaire si le nom a un son plus « cassant ». Sur le plan de l’étiquette sociale, une personne peut sembler plus populaire qu’une autre, simplement en raison de son prénom. Aux Etats-Unis typiquement, une Katherine sera présumée plus populaire qu’une Bonnie. 

Lorsque vous rencontrez quelqu’un, ne vous dites-vous pas parfois que leur prénom fait juste tellement de sens ? Josh a juste trop une tête de Josh. Si les apparences sont trompeuses, comment se fait-il que les Karen ou les Patricia de 45 ans portent si bien leur prénom ? Il s’avère que dans beaucoup de cas, le prénom d’une personne, lui, ne trompe pas. Qu’il s’agisse alors de clichés personnels ou universels, un prénom peut en effet donner des indications (pas forcément vraies, on s’entend) sur la personne qui le porte. À l’évidence et de façon plus considérable que pour un prénom, l’apparence d’une personne s’accompagne également et malheureusement d’idées pré-reçues quant à des caractéristiques telles que l’intelligence, la franchise, la sympathie, etc. S’il est conclu que l’apparence physique influence la perception sociale, il s’avère que, curieusement, cette liaison va aussi dans l’autre sens : les stéréotypes sociaux qu’accorde une société donnée à notre prénom peuvent influencer notre apparence physique. C’est ce qu’on appelle le face-name effect.

Dans une longue et méticuleuse étude publiée par le Journal of Personality and Social Psychology en 2017, il est démontré qu’en effet, l’étiquette sociale associée à notre prénom au tout début de notre vie influencera le développement de notre visage.

Pour prouver l’hypothèse du face-name effect, les chercheurs ont réalisé huit grandes expériences s’agissant, en très gros, d’attribuer le bon prénom à un visage donné. Dans le cadre des six premières sections, les participants avaient alors devant eux des photos d’identité avec, pour chacune d’entre elles, une liste de quatre prénoms à choix. 

On peut aussi mentionner le déterminisme nominatif, une théorie portant sur l’influence du nom de famille sur notre choix de métier ou même sur notre santé. Pour citer un exemple d’effet parmi d’autres, les chercheurs ont démontré que pour certains patronymes, il y a une prédisposition familiale plus élevée à des troubles. En effet, en Irlande, les citoyens portant le nom Brady sont statistiquement plus enclins que le reste de la population à la Bradycardie, une condition sanitaire caractérisée par un rythme cardiaque trop bas.

Au fil de l’étude, afin de réduire au mieux les réponses correctes qui pourraient être dues au hasard, les chercheurs ont pris en compte une multitude de variables et de formes de test différentes. Pour les deux dernières sections de l’expérience, ce sont des ordinateurs qui ont été mis à l’épreuve, avec 94’000 visages à nommer parmi une liste de prénoms pour chaque photo d’identité. Le but de l’usage d’ordinateurs était d’éliminer les biais humains et de démontrer l’indépendance du face-name effect vis-à-vis des outils de mesures utilisés préalablement, à savoir les participants humains.

 

Au final, les taux d’exactitude des liaisons visage-prénom ont tous été plus hauts que les taux de véracité dus à la chance. Il n’y a que les tests où il s’agissait pour les participants français d’attribuer les bons noms aux photos de personnes israéliennes et réciproquement qui ont suscité des taux de véracité bas: le face-name effect est une vérité qui dépend de la culture. En somme, chaque nom étant associé à des caractéristiques incluant une allure prototypique à titre commun dans une société, il en résulte qu’au fil du temps, ces attentes stéréotypées peuvent se manifester sur notre apparence et que notre prénom “fait sens”.

Comment se fait-il que l'étiquette sociale d’un nom puisse agir sur le développement de caractéristiques physiques qui paraissent hors-contrôle, comme la structure du visage ? Au premier abord, il est tout-à-fait valable de questionner ces variables et de peiner à croire en une telle influence d’un simple prénom. Commençons par le commencement, avec les effets et attentes psychologiques et sociales que suscite un prénom. Dans cette optique, d’autres chercheurs soutiennent la théorie du face-name effect avec différentes études. Pour en citer quelques unes, on peut d’abord mentionner l’observation menée en 1929 par le psychologue allemand Wolfgang Köhler portant sur l’attente quant à la forme d’un visage : le Bouba / Kiki effect. À l’occasion de son expérience, Köhler présente deux formes (celles qui  se trouvent sur le premier slide) aux participants et leur demande laquelle s’appelle Kiki et laquelle s’appelle Bouba. 

Ces derniers exemples permettent de basculer sur le deuxième versant de la théorie - la conséquence : la manifestation de notre prénom sur notre personnalité et visage. L’effet d’un prénom est alors double, à savoir qu’il y a un aspect psychologique puis physionomique. Du point de vue des conséquences psychologiques tout d’abord, un prénom entraîne inconsciemment la poursuite d’une prophétie auto-réalisatrice, c’est-à-dire que les individus ont tendance à se diriger vers ce qui a un lien avec soi et fait sens. Dans le contexte du face-name effect, l’étiquette sociale avec la perception de notre prénom et « le bon look » correspondant que nous attribue une société influence la façon dont on sera traité et finalement comment on se voit nous-même ainsi que notre personnalité. Plus simplement, notre apparence physique et notre place dans la société s’influencent réciproquement. Avec les années, les individus se développent en accord avec la croyance qu’ils ont d’eux-même. Concernant les traits qui paraissent moins contrôlables, le Journal of Personality and Social Psychology postule que « bien que nos traits faciaux internes (p.e. la structure du visage, les yeux et les rides) soient moins facilement contrôlés qu’une coiffure, ils sont dynamiques et actifs en raison des nombreuses expressions faciales quotidiennes que l'on fait en fonction de sa personnalité ou de son humeur, ou en réponse à des interactions sociales. En effet, les processus émotionnels produisent des changements vasculaires qui sont, en partie, régulés par la musculature faciale. Les muscles faciaux agissent comme des ligatures sur les veines et les artères, et ils sont ainsi capables de détourner le sang du cerveau ou de le diriger vers le cerveau. Une implication de la théorie vasculaire est que l'utilisation émotionnelle habituelle de la musculature faciale peut affecter de façon permanente les caractéristiques physiques du visage ». Finalement, tout est réellement dans la tête. J’imagine qu’il faut donc beaucoup de force mentale pour être un jeune Gilbert en 2023 et ne pas du tout en être influencé. Surtout, le face-name effect montre à quel point les facteurs sociaux ont du pouvoir sur notre identité. 

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