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La mort du rap

Par Alessandro
Publié le 20 avril 2022

illustration de fefe 

La mort du rap ?

Comment ? Pourquoi ? Par qui ?

Je n’en ai aucune idée. Ce que je peux dire, par contre, c’est que le rap français meurt officiellement le 22 mars 2019, à la sortie du morceau au DD par Ademo et N.O.S.

Le tournage d’un clip sur la tour Eiffel, il faut l’avouer, représente même pour le groupe PNL le paroxysme poussé à l’extrême d’une forme de marketing artistique auparavant sans égal dans l’histoire du rap français. Stratégie marketing construite année après année sur la fidélisation du public à travers un produit de qualité commerciale – je dis bien commerciale – indiscutable et nourrie par une idée de rareté de la marchandise, en témoignage de quoi les longs temps d’attente entre un album et l’autre. À la sophistication – toujours commerciale bien sûr – de l’objet artistique contribue également la sponsorisation dans les chansons de labels partenaires tels que la marque de vêtements off-white.

Cela dit, la réduction de la musique rap au statut de divertissement, de bien de consommation au service d’un public impersonnel et qui soit le plus large possible, la réduction en bref de la musique rap à de la musique pop est un phénomène qui ne remonte pas à PNL et n’est sans doute pas propre à la France, et surtout qui va bien au-delà d’une simple opération du marketing. 

En 1994 sort dans l’album Illmatic de Nas la chanson N.Y. State of Mind, une des musiques les plus iconiques de l’histoire du rap américain.  Le New York state of mind  représente traditionnellement un esprit de lutte et de compétition acharnée pour le succès, moyen par lequel atteindre le rêve américain et le symbole par excellence de la réussite. Mais Nas raconte lui de la misère de son quartier et l’insécurité qui y règne. Il parle de la lutte pour la survie et du N.Y. State of Mind comme d’une condamnation, de l’obligation, pour ne pas sombrer dans le néant et survivre, d’agir en animal traqué et de se défaire de toute morale.

Le rap du début des années ’90 est tout sauf une œuvre de divertissement. C’est le récit d’une façon de vivre et la revendication à exister d’une communauté de personnes, et le témoignage aussi d’une vision du monde de l’ordre souvent de la dénonciation, c'est-à-dire indissociable de la politique. L’histoire en 1992 par Tupac d’une jeune fille de 12 ans tombée enceinte par accident dans Brenda’s Got a Baby, est le plus parfait exemple de la contestation d’un contexte social qui n’épargne personne.

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En 1988, la sortie de l’album Straight Outta Compton par le groupe NWA fait beaucoup parler à travers les États-Unis. La critique des violences policières, la narration d’une brutalité systématisée et de la vente de drogue comme voie nécessaire et sans issue de la vie du ghetto, tous ces éléments sont perçus par la classe moyenne comme l’apothéose de la criminalité et un appel au désordre. Straight Outta Compton, majoritairement suite au scandale causé par la chanson F**k tha police, représente le premier débordement de la musique rap en dehors des frontières du ghetto – débordement perçu à l’intérieur de l’univers bourgeois comme l’invasion d’une réalité incompatible avec lui, à effacer, dont on nie au fond l’existence même.

 

Le fait est, cependant, que ce débordement se normalise par la suite très rapidement et, au fur et à mesure que la réalité du ghetto est dépassée et que le public dépasse ses frontieres, les artistes se doivent de satisfaire une audience de plus en plus diversifiée. L’engagement politique et identitaire, le récit de la marginalisation  et de  l’insécurité sont des thèmes relégués au statut de fait divers pour ceux que ça ne regarde pas. 

Année après année les sujets évoluent donc vers quelque chose de plus accessible, de plus vendable tout simplement au grand public. La pauvreté, la violence, le proxénétisme et la drogue, tous ces éléments prennent doucement pour le nouvel artiste dominant une nouvelle forme, deviennent le témoignage de sa réussite personnelle, un décor à brandir fièrement pour attester de son succès. Le ghetto et la lutte pour la survie sont alors les attributs formels de celui qui n’est parti de rien, du rescapé de la misère. 

 

À côté de ça, la contestation politique et l’espoir d’un monde meilleur se retirent lentement dans les oubliettes. Dans Can’t tell me nothing, Kanye West explique fondamentalement son rêve de s’acheter une place au paradis, mais qu’au final il a préféré dépenser son argent dans une bijouterie – preuve que l’ostentation prime au final sur tout le reste. 

La rédemption de soi-même plutôt que celle du monde, c’est un constat sur lequel méditer.

 

Avec l’introduction après 2010 de nouveaux instruments, les mélodies accrocheuses et la systématisation des placements de produits à l’intérieur des textes, le rap se dépossède lentement de son statut d’art pour se cantonner à celui de folklore. La célébration pittoresque de la licence et de la criminalité comme une marque d’honneur, la répudiation de toute éthique comme un code de vie absolu, ce sont là les dérives pathologiques d’une vision en anachronisme total face au gangsta rap des années ’80 - sous-genre musical dont le plus grand obstacle à sa diffusion auprès du public a toujours été le caractère communautaire et politique, caractère que l’on a décidé d’effacer au prix d’effacer l’essence même de cette musique. 

Ce folklorisme, le résultat de cette aliénation du rap au service de la société de consommation donne lieu tout simplement à une rhétorique nihiliste, à la négation de toute valeur au service d’une objectivité fondée sur l’hédonisme – vu comme finalité universelle et de l’homme. L’appel au viol d’une fille dans Sors le cross volé de Jul, la romantisation de ce même acte dans Quand tu dors de Tayc en février dernier, c’est aussi ce que j’entends dire en parlant de la mort du rap. 

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