Négation de faits ou conflits d'intérêts ?
Par David Alaverdyan
Publié le 19 avril 2022
J’aimerais revenir sur la question que j’ai posée lors de la venue du président croate et du président de la confédération. Ignazio Cassis a mentionné qu'un paquet de sanctions allait être imposé à la Russie par l’UE, et que la Suisse suivrait ces directives. J'ai voulu profiter de cette occasion peu commune qui est celle de pouvoir s'adresser à deux présidents pour rappeler que l’Azerbaïdjan a commis des crimes de guerre lors du conflit du Haut-Karabakh en 2020 (similaire à ceux que commet l’armée russe en Ukraine). J’ai voulu savoir pourquoi ni la Suisse ni l’Union Européenne, dont la Croatie fait partie, n’ont pris de mesure pour sanctionner l’Azerbaïdjan. Les deux dirigeants ont rappelé l'attention à porter quant à l'utilisation de certains termes comme crimes de guerre, et de ne pas se laisser gagner par l’émotion en qualifiant n’importe quel acte de “génocide” (notion que je n’ai d’ailleurs pas évoquée dans ma question).
Le président de la confédération a aussi soulevé qu’aujourd’hui, cette émotion peut naître dans les communautés des réseaux sociaux qui exercent une influence sur nous et sur notre façon de percevoir le monde.
1) Les faits qui se sont déroulés au Haut-Karabakh ont été documentés et mentionnés par Amnesty International et Human Rights Watch. Des actes inhumains similaires à ceux commis par l’armée russe en Ukraine ont été commis. L’usage de phosphore blanc comme arme incendiaire et de bombes à sous-munitions ont été reportés, ainsi que des exécutions. L’armée azérie a ciblé des écoles, des églises, des hôpitaux et des maternités. Il s’agit ici de violation des traités internationaux, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Ces faits sont semblables à la situation européenne actuelle, même s’il s’agit d’une échelle différente, et pourtant les réactions internationales n’ont pas été les mêmes.
2) Pour ce qui est de l’implication de la Suisse dans ce conflit, cela pourrait s’expliquer par un conflit d’intérêt. L’entreprise pétrolière d'État de l’Azerbaïdjan, SOCAR, a une filiale en Suisse ainsi qu’environ 200 stations-services (en partenariat avec Migrolino, filiale de Migros) qui lui rapportent plusieurs dizaines de milliards de dollars. Selon une enquête réalisée par un membre du Conseil des Etats suisse, les bénéfices réalisés en dans le pays ont permis d’acheter ces armes interdites mentionnées plus haut, et de recruter des mercenaires djihadistes de Syrie qui ont participé à cette guerre. Le président suisse énonce que la neutralité suisse est “juridique et militaire”, mais que les valeurs de la Suisse “ne sont pas neutres”. On peut s’interroger sur cette notion de neutralité à l’heure où la politique économique devient une arme encore plus puissante que la force militaire.
3) Concernant le rôle des réseaux sociaux dans notre sensibilité vis à vis de l’actualité internationale, il faut avouer qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux occupent une place très importante dans nos vies et dans la façon dont on s’informe. Certes, tout contenu n’est pas bon à prendre, mais il s’agit aujourd’hui de l’outil d’information le plus rapide. Pour prendre un exemple récent, sans les réseaux sociaux, je pense qu’il aurait été difficile de savoir qu’à la frontière ukrainienne, on empêchait certains étudiants africains de monter dans les trains pour quitter le pays.
Le conflit en Ukraine est unique, car un conflit armé international au XXIème siècle, est d’une grande gravité en termes de dégâts matériels, de coûts de la vie humaine et de personnes déplacées, surtout quand on considère les moyens utilisés qui nous rappellent ceux d’une autre époque. Mais il ne faut pas pour autant mettre de côté les autres crises en conflits dans le monde, comme la guerre au Yémen, la guerre au Soudan, le conflit du Tigré ou la guerre civile syrienne, qui sont eux aussi des conflits particulièrement violents de notre époque. Un conflit en Europe ne doit pas prendre une plus grande importance que des conflits des pays du Sud. On peut s’interroger sur l’importance que l’on donne à nos semblables dans l’aide apportée à des conflits et à la façon, sans que cela soit bien ou mal, dont l’Homme s’identifie à ceux à qui il ressemble.
Sources :
David Alaverdyan