Discours médiatique et réfugié.e.x.s
Par Sofia & Méissane
Publié le 30 mars 2022
Lors du lancement de l’offensive russe contre l’Ukraine, les médias et le monde entier réfléchissaient à la signification de ce conflit pour les réfugié.e.x.s. qui s'apprêtaient à fuir le pays. En effet, avec une population de plus de 40 millions d’habitants, il fallait s’attendre à d’importants mouvements de personnes provenant de la région et à destination du reste de l’Europe.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous aimerions faire un petit rappel de la définition d’un.x.e réfugié.e.x. selon Le Robert:
“[Une personne qui] a dû fuir son pays afin d'échapper à un danger (guerre, persécutions, catastrophe naturelle, violences, etc.).”
Ces dernières semaines, le discours adopté dans les médias et le vocabulaire utilisé pour parler de la migration contrainte des Ukrainiens marquent un contraste frappant lorsqu’on les compare aux discours médiatiques couvrant les crises migratoires des années 2010.
Depuis plusieurs décennies, les médias qualifient de migrant.e.x.s. les personnes fuyant les conflits au Moyen-Orient (Libye, Syrie, …) vers l’Union Européenne alors qu’aujourd’hui, pour désigner les Ukrainiens fuyant la guerre, les médias parlent de réfugié.e.x.s. Nous constatons dans le message véhiculé par certains médias une forme de hiérarchisation des personnes qui fuient une crise, en sous-entendant que les Ukrainien.e.x.s, étant “chrétiens et relativement civilisés”, seraient bienvenus en Europe occidentale. Selon certains “experts” invités sur les plateaux TV, il n'est pas question de remettre en cause leur statut de réfugié.e.x.s, car “nous voyons bien ce qu’ils fuient”. Cette hiérarchisation prouve l’existence d’un racisme ordinaire encore trop présent dans les médias. Les Ukrainien.e.x.s. constituent d’après ces mêmes experts “une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit”. Cette objectification et cette instrumentalisation des migrant.e.x.s. et des réfugié.e.x.s. est inquiétante. Elle remet en question les motivations de la prise en charge des migrant.e.x.s. dans les pays européens.
Le but ici n’est pas de critiquer la réactivité des pays pour la prise en charge de ces réfugié.e.x.s. Nous pourrions presque désigner la réaction de l’Europe comme un modèle à suivre. Ce dont il est question ici, c’est la différence de traitement et de considération des migrant.e.x.s. qui change selon les crises et surtout en fonction de l’origine des flux de personnes. Comme l’a dit Fatou Diome dans l’émission CLIQUE sur Canal Plus : “la détresse, elle n’a pas de couleurs, elle n’a pas de frontières, elle ne prend pas de visas”. C’est la logique que nous décidons d’adopter lorsque nous posons un regard critique sur la couverture médiatique de cette crise.
Plusieurs enjeux sont soulevés par le type de discours entendu dans les médias. Premièrement, certains considèrent que les réfugié.e.x.s. Ukrainien.e.x.s. sont légitimes car nous sommes davantage informés de ce qu’il se passe en Ukraine. Dans le cas d’autres conflits, comme au Yémen, en République démocratique du Congo ou encore en Ethiopie, la couverture médiatique est moindre, voire inexistante. Ce manque d’informations justifie-t-il la méfiance occidentale vis-à-vis des réfugié.e.x.s. venant de ces régions ? Ou le racisme discret et ordinaire peut-il expliquer cette crainte ? En effet, l’une des perspectives qui s’est fait entendre durant une interview télévisée était la suivante: “Il y a une différence entre des Ukrainien.e.x.s. qui participent à notre espace civilisationnel avec les populations qui appartiennent à d’autres civilisations”. Outre la hiérarchisation des populations que nous avons déjà évoquée dans cet article, cette citation illustre précisément l’aspect culturel et racial de cette méfiance susmentionnée. Le problème lors des crises migratoires précédentes n’était pas, selon ces médias, le manque de structures d’accueil ou de place, il résidait plutôt dans la différence fondamentale entre les accueillant.e.x.s. et les accueilli.e.x.s.
Ensuite, l’image et la conscience que la société civile européenne construit autour de ces conflits est largement fondée sur les informations que l’on décide de lui donner. Le racisme ordinaire ressenti dans le discours des médias, les stéréotypes et idées reçues concernant l’une ou l’autre population oriente le citoyen à prendre position, soit en faveur, soit contre l’afflux de réfugiés dans son pays.
Les médias décrivent aujourd’hui des migrant.e.x.s. “de qualité” dans le cas des réfugié.e.x.s. Ukrainien.e.x.s. Depuis des années, le mot “migrant” a une connotation négative et il est associé à une population généralement non-européenne. Ainsi, autour de 2015, les réfugié.e.x.s. syrien.e.x.s. ou érythréen.e.x.s. se sont vus refuser les portes de beaucoup de pays européens, jusqu’à ce que ces derniers arrivent à un accord.
Les gouvernements ont deux poids, deux mesures quant au traitement accordé aux réfugié.e.x.s., et les médias ne font souvent que cristalliser ce mécanisme.
À qui peut-on donc attribuer une responsabilité? Les médias, pour la manière dont ils illustrent les conflits et leurs conséquences sur les flux migratoires ? Les autorités qui, par leurs actions, légitiment voire justifient le discours médiatique ? Les médias seraient-ils le reflet de l’opinion publique ?
La question restera certainement sans réponse, car une multitude d’acteurs ont sans aucun doute leur rôle dans un système où les origines d’une personne définissent en grande partie sa valeur et l’effort qu’on décide de lui accorder.
La médiatisation des événements récents en Ukraine soulève un questionnement sur la visibilité et la perspective que l’on accorde aux événements. On remarque également qu’une hiérarchisation Nord/Sud est encore très présente dans notre paysage médiatique.
Cet article porte sur la différence de traitement des migrant.e.x.s. et d'évènements similaires selon la région du monde où ils prennent place dans le discours médiatique et même politique, nous ne remettons en aucun cas en cause les motivations qui ont poussé les Ukrainien.e.x.s. à partir. Nous cherchons simplement à poser un regard critique sur ce que nous pouvons entendre et voir dans les médias.
Par Sofia et Méissane