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Genève, capitale de la paix, renoncera-t-elle à en créer un havre au sein de son université ? 

Par une étudiante
Publié le 10 mai 2022

Genève. Ville-monde, capitale de la paix. Destination estudiantine, diplomatique, et culturelle. 

Historiquement, la ville de Calvin a été un véritable bastion de la liberté religieuse, accueillant grand nombre de réfugiés fuyant la France et d’autres pays européens lors des persécutions religieuses subséquentes à la Réforme. 

Toutefois, des événements récents semblent indiquer un départ de ce climat d'accueil, de tolérance et de vivre-ensemble.

En effet, les revendications de membres de la communauté estudiantine démontrent que le respect de leur liberté de croyance laisse à désirer. Depuis 2012, des étudiants musulmans demandent un espace de méditation multiconfessionnelle qui leur permettrait de prier à l’université. Constituant le deuxième pilier de l’islam, second seulement à l’attestation de la foi, la prière est faite cinq fois par jour à des créneaux-horaires définis. Dans la vie d’un étudiant, deux voire trois de ces prières, moments de calme, d’introspection et de méditation convergent avec les horaires de cours et de révision. Faute de lieu adapté à la méditation se situant à une distance leur permettant de prier entre deux cours ou pendant une période libre (faire au moins vingt minutes de bus pour une prière de cinq minutes étant une impossibilité au milieu d’une journée de cours chargée), les étudiants prient dans la cage d’escalier des sorties de secours. 

La politique générale de l’université, qui la déclare imprégnée des valeurs de Genève que sont l’ouverture internationale, le respect des droits humains, la sensibilité aux diverses cultures, à l'éthique et à l’humanisme,contraste avec ce manque de sensibilité et d’humanisme que vivent au quotidien les membres de la communauté universitaire.

Soutenus par le syndicat étudiant (CUAE), les étudiants ont présenté des demandes pour une salle de méditation à plusieurs reprises, systématiquement refusées par le rectorat sans justification convaincante. 

Six ans après la première demande, la situation a fait l’objet d’un article du Matin en 2018. Ce dernier traitait de la pétition en ligne, comptant aujourd’hui près de 3’000 signatures, mais aussi de l’existence d’une salle de méditation à l’université de Lausanne, ainsi qu’à la Haute École du paysage, d'ingénierie et d'architecture à Genève. 2

Les HUG et l’aéroport de Genève disposent d’un espace de ressourcement pluriconfessionnel,  ainsi que les sièges du CICR, de l’OIT, et de l’OMPI.

Le siège de l’ONU dispose d’un espace dédié à la méditation ou la prière depuis plus de trente ans. 

Les universités de Bâle, Zurich, Fribourg et Berne disposent également d’un espace dédié à la méditation.

A l’université de Genève, les étudiants musulmans voient leur tapis de prière clandestinement dérobés et même jetés à la poubelle. En avril 2022, “des affiches montrant la page de couverture de Charlie Hebdo avec des représentations sensibles touchant à la religion musulmane ont été collées aux murs des cages d’escalier au 4ème et 5ème étage”.3 Il parait qu’il y a un certain acharnement pour créer des tensions, étranger à l’esprit de l’UNIGE, étudiants et collaborateurs confondus.

Alors, la ville de Calvin: bastion de la liberté religieuse ou caisse de résonance d’une islamophobie à la française?

Une photographie de la cage d’escalier de l’UNIGE, faisant partie de l’exposition Survisibles/ Invisibles dans le cadre de la Semaine contre le racisme en ville de Genève,comporte une légende: “Les musulmanes se cachent pour exister. Bien que nous (les musulman.e.s) sommes la communauté la plus médiatisée, nous sommes forcés d’adopter au quotidien des stratégies pour nous rendre invisibles, car être musulman.e aujourd’hui en Suisse a un coût social, mental et matériel.” 5

Dans le débat de la RTS, intitulé “L’Université de Genève doit-elle ouvrir des salles de prières musulmanes?”6 (alors que les étudiants demandent une salle de méditation multiconfessionnelle), Jean Romain (PLR), député du Grand Conseil de Genève, affirme qu’ “il faut éviter trop ostensiblement d’affirmer sa foi parce que ça surprend les autres et ça peut même conduire à des bagarres que nous ne voulons pas à Genève.”

Autrement dit, les musulmans devraient se cacher pour exister s'ils veulent éviter les bagarres imaginaires qui relèvent de spéculations politiciennes plutôt que des réalités de la vie étudiante. Or, la bagarre dont parle Romain est inexistante du côté des étudiants. En essayant de résoudre un problème qui n’existe pas, on risque toujours d'en créer un autre, réel cette fois-ci. 

Il continue: “Exprimer sa croyance, discuter, c’est une chose. C’est une chose nécessaire au sein même de l’université. Parler de spiritualité c’est extrêmement important, mais autre chose est de prier ! Autre chose est de se refermer sur une croyance, et j’ai le respect absolu de la prière qu’elle soit musulmane, chrétienne, bouddhiste tout ce que vous voulez mais le lieu de l’université doit éviter justement ces sortes de manifestations cultuelles mais pas du tout de discuter.”

Affirmer que vivre sa foi en adhérant à ses pratiques élémentaires est un signe de renfermement témoigne d’un irrespect et d’une incompréhension flagrante de la foi en question. 

Son interlocuteur, Sylvain Thévoz (PS) diverge de son point de vue, stipulant que “L’Etat est neutre donc rien n’interdit d’avoir un espace interspirituel ou les croyants et les non-croyants peuvent se retrouver pacifiquement.”

Cependant, évoquant l’impact positif d’un espace de recueillement et de partage pour une population étudiante fragilisée et précaire, Thévoz ajoute: “En plus, dans une société où les extrémistes l’emportent, à avoir justement un certain regard sur qui vient là, comment ça se passe, et puis faire peut-être un peu d’éducation interreligieuse pour éviter que ça prie, par exemple, dans des lieux souterrains, inconnus même de tout un chacun, et finalement avec des risques de radicalisation plus grands.”

L’affirmation que nous vivons dans une société où les extrémistes l’emportent et l’hypothèse que les étudiants ont un potentiel de radicalisation est étonnante.

Certes, le lieu où prient actuellement les étudiants est indigne, rarement nettoyé et inadapté (une étudiante témoigne d’y avoir vu une personne sans domicile fixe endormie dans son sac de couchage), mais s’il était inconnu et souterrain, le malfaiteur anonyme n’aurait pas su où coller les affiches de Charlie Hebdo.

Ensuite, les étudiants qui fréquentent ce lieu sont loin d’être majoritairement des étrangers effectuant un échange en Suisse, comme l’affirme Thévoz. La demande pour une salle existe bien avant la loi sur la laïcité qui selon Romain interdirait un espace interspirituel où les croyants et les non-croyants peuvent se retrouver pacifiquement. La demande provient d’un nombre non négligeable d’étudiants, de chercheurs et de collaborateurs,  étrangers comme nationaux nés et élevés en Suisse, confrontés à devoir passer des années de leur vie à dérouler leurs tapis de prière dans un lieu sale et inadapté au quotidien. Une salle de méditation serait bénéfique pour toute la communauté universitaire actuelle ainsi que pour les futurs étudiants, croyants comme non-croyants en quête d’un espace où ils pourraient “se ressourcer et profiter d’un lieu apaisant sur un plan spirituel, ” comme le décrit leur pétition.7

Genève, capitale mondiale de la paix, renoncera-t-elle par inadvertance à en créer un havre au sein de son université?


 

-une étudiante

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