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Poids et Mesures
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Comment traiter médiatiquement les guerres ? 

Par Michał
Publié le 17 mai 2022

J’ai vu dans la story d’un youtubeur que j’aime bien une vidéo des cadavres d’un homme et de son chien, tués par balles dans la voiture dans laquelle ils essayaient de fuir la guerre. C’était quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Un autre jour, c’était une vidéo d’une femme et d’un enfant en larmes, faisant leurs adieux à un homme partant au combat.

Ce genre d’image, très présent sur les réseaux sociaux dans les premiers jours de l’invasion, est un rappel salutaire – on est trop habitués à voir les conflits comme des événements distants, faits d’enjeux complexes, d’escalades et de désescalades. On emploie des termes aseptisés qui évoquent une danse abstraite d’entités géopolitiques et des cartes de pays lointains parsemées de flèches colorées. Mais la carte n’est pas le territoire et le territoire c’est des personnes qui ne sauront jamais comment leur proche est mort, des milliers d’existences éteintes qui ne sentiront plus jamais la sensation divine de rire à en pleurer ou la chaleur d’un corps aimé contre le leur, des cadavres d’innocents pourrissant au soleil ou ensevelis sous les décombres.

Il y a quelque chose de perturbant à écrire en ce genre de termes. Nommer ces choses paraît manipulateur, pas très sérieux, il conviendrait d’adopter un certain recul, livrer une analyse nuancée car voyez-vous évidemment tout le monde veut la paix mais ce n’est pas si simple. Il faudrait utiliser des termes froids, se mettre à la place des décideurs, ceux qui sont investis de la lourde responsabilité de réfléchir en termes d’intérêts géopolitiques, qui doivent faire des choix difficiles. Ceux qui n’en subiront pas les conséquences, qui mourront à un âge avancé dans un manoir avec des domestiques, leurs vieilles tripes usées mais toujours à leur place et pas répandues sur le bitume d’une artère de Marioupol.

Un très bon article est déjà paru sur cette page sur les deux poids, deux mesures qui font que les mauvais.es réfugié.es se noient en méditerranée ou sont emprisonné.es en Libye par des milices financées par l’Union Européenne, le tout dans un silence médiatique assourdissant, tandis que là, quand les victimes ont eu le bon sens élémentaire de naître blanches, le continent entier se découvre le genre d’humanisme qui reste généralement à l’état de déclarations, une compassion à faire chialer les oiseaux.

Ce qui justifie cet émoi et ce dont suintent les déclarations qui l’expriment est la sensation que ce qui se passe n’est pas normal. Les éditorialistes mais aussi des ami.es à moi ou mes parents sont choqué.es de voir non pas la guerre mais la guerre en Europe. Car on a semble-t-il intégré, avec un certain cynisme, que la guerre quelque part ça faisait partie de la vie extra-européenne, le monde fonctionne comme ça, ça va pas nous empêcher de dormir la nuit que nos bons dirigeants, à ne pas confondre avec les dirigeants des autres qui eux sont sinon fous du moins méchants, vendent des armes aux Saoudiens qui découpent en rondelles des journalistes et conduisent depuis des années une guerre meurtrière à peine plus loin qu’en Ukraine.

Cette indifférence désabusée a été ma réaction première à l’invasion russe. J’étais agacé de voir celleux que n’a pas troublé.es longtemps le sort des Afghan.es précipité.es dans des décennies de crise par les politiques étasuniennes se découvrir d’un coup un touchant intérêt pour le sort des bombardé.es. Puis je me suis dit que mépriser une solidarité internationale, une indignation légitime dont on manque en général cruellement c’est quand même vraiment une réaction de connard.

Comment une société de non-connards traiterait-elle médiatiquement la misère du monde ? Peut-être que toute guerre, peu importe qui la mène et qui y meurt, provoquerait le même émoi qu’a déchainé au tout début l’invasion de l’Ukraine. La perspective de tout le temps être autant préoccupé.es par le sort d’inconnu.es à l’autre bout du monde paraît fatigante. Peut-être, en effet, qu'un traitement moins froid, plus indigné des événements internationaux serait trop éreintant et détournerait les gens de l'actualité. Peut-être, d’un autre côté, qu’une conscience plus vive des malheurs de ce monde conduirait à davantage souhaiter le changer.

Par Michał.

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