Politiquement correct, dérivés et controverses
Par Etienne Dussert
Publié le 16 novembre 2021
On entend beaucoup parler du politiquement correct, de l’islamo-gauchisme et dernièrement du wokisme. Tant de termes qui sont sujets à des débats complexes et qui divisent l’opinion publique, font aujourd’hui énormément de bruit dans le paysage médiatique. Des concepts recyclés - dont l’origine remonte parfois à plusieurs siècles du nôtre -, ressurgissent dans nos bouches et rythment des discussions sans fin, sur l’identité culturelle entre autres. Mais parmi ces concepts règne l’ambiguïté, le flou et la confusion.
N.B : Aucun avis n’est donné dans cet écrit. Son unique but est d’informer.
La notion du politiquement correct vient du concept états-unien « political-correctness ». En 1793, le terme est employé lors d’un débat devant la Cour Suprême par James Wilson, un des signataires de la Déclaration d’Indépendance et de la Première constitution des Etats-Unis d’Amérique. Le terme a été employé comme tel : une interprétation « correcte » de l’esprit des Pères Fondateurs de la République. Plus précisément, le terme désignait l’incitation à une lecture du droit plus intentionnelle que procédurière.
L’expression prend un tout autre tournant au cours du XXe siècle, lors de la montée des nationalismes en Europe et du marxisme-léninisme en Russie. Le terme servait alors de qualificatif péjoratif pour les militants dogmatiques de gauche.
Sous le 3e Reich, le « politiquement correct » était un statut octroyé par le gouvernement nazi, permettant d’exercer sans danger des activités journalistiques.
Bien plus tard, vers les années 1970, l’écrivaine et activiste Toni Cade Bambara renouait avec les propos du juge James Wilson en réitérant le terme « politically correct » dans ses écrits, signifiant alors qu’il est correct et légitime de mener des politiques d’égalité, conformément au but démocratique américain.
Quatre décennies plus tard, le terme est remis au goût du jour et est défini comme une attitude qui vise à remplacer des mots ou expressions considérées comme offensantes et péjoratives par des termes neutres et moins heurtant et laisse donc place à la création de néologismes. Cette actualisation du terme est mal-perçue par la gauche, qui dénoncent les partis conservateurs et d’extrême-droite d’avoir fait de cet anglicisme une arme contre le pouvoir supposé des minorités.
L’islamo-gauchisme tient ses origines des années 1970 en Iran, où l’Islam révolutionnaire et les forces de gauche se sont alliées pour contrer la dictature de Mohammad Reza Pahlavi. Ce néologisme désigne une proximité idéologique entre les milieux islamiques et les partis de gauche. Dans l’environnement politique français, le terme est popularisé et utilisé par l’extrême droite pour désigner « toute personne de gauche dont on estime qu’elle est trop indulgente avec l’islamisme radical et pas assez lucide. » Là-aussi, le terme fait office d’arme de l’extrême droite pour déformer les clivages politiques et déstabiliser l’opinion publique. Pour certains historiens, l’emploi du terme est une arme idéologique qui permet de faire diversion, de chercher de nouveaux responsables de cet état de crise permanent pour ainsi « faire accepter de nouveaux récits de référence et pour façonner de manière durable de nouvelles représentations, croyances et valeurs […] et de rendre crédible la présence d’un ennemi de l’intérieur qui pilote nos élites et fait alliance avec des ennemis de l’extérieur (non-blancs). », David Chavalarias, chercheur au CNRS. D’autres chercheurs comme Pascal Boniface dénoncent la vacuité et le non-sens du terme.
Plus récemment encore, le terme de wokisme a émergé, un mot aux origines également lointaine. Elles remontent à la fin du XIXème siècle, dans les communautés afro-américaines. Le terme désignait alors une manière de vivre en tant que Noir, dans un contexte de répression et d’esclavagisme. « Woke » (qui signifie « être éveillé » en anglais) est employé en 1970 par Martin Luther King dans son discours, faisant ainsi un appel à la vigilance des jeunes générations, quant aux discriminations ethniques et raciales qu’elles pourraient subir à l’avenir. Le terme se démocratise en dehors des communautés afro-américaines et s’exporte à l’international en 2013 – 2014, à l’occasion du mouvement Black Lives Matter. Ce mouvement a laissé place à plusieurs manifestations dans les villes et sur les réseaux sociaux affrontant d’arrache-pied le racisme systémique envers les Noirs. Aujourd’hui, être « woke » c’est prendre conscience des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. De plus en plus d’étudiants états-uniens sont désormais diplômés en justice sociale. Certaines personnes les appellent les « SJW » (Social Justice Warriors). Le terme est évidemment péjoratif mais il en dit long sur la capacité du milieu universitaire à s’adapter aux problématiques sociétales actuelles.
Le mouvement est cependant controversé car ses pratiques ne sont pas toutes appréciées. Une de ses conséquences majeures est le « cancel-culture » qui prend la forme d’une mise au ban d’un individu ou d’un groupe pour des actions jugées inadmissibles, ou encore la forme d’une suppression de toute trace d’un passé indigne au sein de la production culturelle. Tout cela fait partie des agissements qui s’éloignent d’un wokisme relativement modéré et qui sont loin d’être cautionnés par l’opinion publique. En addition à cela, le wokisme s’est mis à dos le gouvernement parce qu’il (le gouvernement) l’accuse de vouloir « saboter le projet républicain » dit Mame Fatou Niang, professeure en littérature française et francophone à l’Université de Pittsburgh.
Le ministre français de l'Éducation nationale a lancé le 13 octobre dernier un laboratoire de réflexion visant à lutter contre le wokisme, car supposé contraire aux valeurs républicaines. Cette décision a d’ailleurs créé une vive opposition chez les chercheurs en sciences sociales, qui la perçoivent comme une remise en question de leurs travaux et de leur valeur scientifique. D’un autre côté, le wokisme est perçu par les spécialistes français comme une arme servant à « déstabiliser un adversaire […] de manière malhonnête parce qu’il s’agit de faire croire qu’il y a là un ennemi dangereux pour la République », dit Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage à l’Université Paris XVIII. Elle ajoute que le mot n’a aucun contenu sémantique sérieux et que le contexte et les origines américaines justifient l’absurdité d’un tel mouvement en Europe. Avec le wokisme, le racisme - comme beaucoup d’autres concepts- perdent de leur sens. Les définitions se transforment et la confusion se crée. Pourtant, un wokisme plus modéré correspondrait à un mouvement pacifique qui consisterait non pas à retirer des droits, mais à en donner aux groupes ethniques et LGBT qui n’en ont pas.
Dans toute cette histoire, les médias nourrissent de plus en plus les débats politiques, notamment en accordant la parole à des acteurs nationalistes et à peu de militants et chercheurs. Les médias incarnent encore aujourd’hui le quatrième pouvoir, influençant l’opinion publique.
Etienne Dussert
Sources :
« C’est quoi, au juste, le « politiquement correct » ? » 2019. EVE. https://www.eveprogramme.com/40785/cest-quoi-au-juste-le-politiquement-correct/ (11 novembre 2021).
« Diabolisation de la gauche. « User du mot “wokisme” sert une propagande politique » | L’Humanité ». https://www.humanite.fr/diabolisation-de-la-gauche-user-du-mot-wokisme-sert-une-propagande-politique-726320 (10 novembre 2021).
Gaumont, Noé, Maziyar Panahi, et David Chavalarias. 2018. « Reconstruction of the Socio-Semantic Dynamics of Political Activist Twitter Networks—Method and Application to the 2017 French Presidential Election » éd. Nuno Araujo. PLOS ONE 13(9): e0201879.
GRATIAN, Paul. 2021. « C’est quoi le « wokisme », cette idéologie que Jean-Michel Blanquer dit vouloir combattre ? » Ouest-France.fr. https://www.ouest-france.fr/societe/c-est-quoi-le-wokisme-cette-ideologie-que-jean-michel-blanquer-dit-vouloir-combattre-22b58616-2cc1-11ec-9285-f388b2ea32b0 (10 novembre 2021).
« Islamo-gauchisme ». 2021. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Islamo-gauchisme&oldid=187657708 (10 novembre 2021).
« Les wokes débarquent en Suisse romande. Qui sont-ils? Que veulent-ils? » https://www.watson.ch/fr/suisse/international/415844637-les-wokes-debarquent-en-suisse-romande-qui-sont-ils-que-veulent-ils (10 novembre 2021).
Mangeot, Philippe. 1997. « Bonnes conduites ? / 1 ». Vacarme 1(1): 57-59.
McLamore, Quinnehtukqut, et Özden Melis Uluğ. 2020. « Social Representations of Sociopolitical Groups on r/The_Donald and Emergent Conflict Narratives: A Qualitative Content Analysis ». Analyses of Social Issues and Public Policy 20(1): 508-35.
« Politiquement correct : un mal typiquement américain... aux racines tellement françaises ? » 2021. France Culture.
https://www.franceculture.fr/societe/politiquement-correct-un-mal-typiquement-americain-aux-racines-tellement-francaises (11 novembre 2021).
Psyhodelik. 2021. RESISTER AU WOKISME 🥊. https://www.youtube.com/watch?v=0Z9YsmqtFq8 (11 novembre 2021).